




Les jeunes et l'emploi : face à l’aventure du travail

L'École et l'Université françaises fabriquent des chômeurs ou des aigris... De plus en plus, cette critique sévère prévaut dans l'opinion publique. Elle est alimentée par la courbe inquiétante des statistiques qui montre que les jeunes ont désormais davantage de difficultés qu'auparavant à trouver un emploi. Les intéressés et leurs familles accusent, en bloc, pouvoirs publics et patronat. Mais ils oublient souvent certaines vérités et, surtout, leurs propres responsabilités. (…)
En janvier 1968, M. Jacques Chirac, qui occupait alors les fonctions de Secrétaire d'État aux Affaires Sociales, annonçait officiellement que le gouvernement préparait un plan de lutte contre le chômage des jeunes. Quatre ans ont passé. Et il ne semble pas que ce plan, finalement exécuté par M. Fontanet, ait donné des résultats probants. Les alarmes se sont même aggravées. Les chiffres sont éloquents : on comptait 48 000 jeunes sans emploi en mai 1970, puis 56 600 en mai 1971 et 65 000 en novembre. Voilà ce qu'affirment les pessimistes. Ont-ils raison ? Partiellement. Tout d'abord, il s'agit de s'entendre sur la définition du mot « jeunes ». La notion est, en effet, différente suivant les références prises. Pour le Code de Travail, l'âge retenu est 18 ans. Pour les experts du Plan, il va jusqu'à 24 ans. Quant au ministère du Travail, il distingue, lui, les moins de 25 ans. Comme on le voit, entre 18 et 25 ans, il existe une marge. Il y a notamment les jeunes qui recherchent leur premier emploi et ceux qui en sont au troisième ou au quatrième. Les statistiques ne font pas la différence et, pourtant, la situation entre ces deux catégories de demandeurs d'emploi ne doit pas être présentée de la même façon.
Par ailleurs,il est bon de comparer les 65 000 jeunes chômeurs recensés en novembre au total des jeunes qui entrent chaque année dans la vie active et qui s'élève en moyenneà540 000. (…)
Un chômage qui court
De surcroît, il faut tenir compte de la durée du chômage. Pour les moins de 25 ans, les statistiques de septembre 1971 montrent que la moyenne d'attente a été de seize jours dans la région parisienne, de dix-neuf jours en Bourgogne, de vingt-trois jours dans le Centre et de onze jours en Normandie. (…) La durée réelle du chômage est donc très courte. Ce qui ne veut pas dire que l'emploi offert et accepté correspond exactement aux désirs du postulant.
Enfin, il ne faut pas oublier le rôle de plus en plus important que joue désormais l'Agence Nationale de l'Emploi. Depuis qu'elle s'est étoffée, elle recense davantage (et c'est l'une de ses vocations majeures) les jeunes sans travail. En réalité, et tant pis pour les statistiques qui se verront gonflées, il est même souhaitable qu'un nombre sans cesse accru de jeunes frappe aux portes de l'Agence. Ce sera la preuve de la réussite de sa mission. Car la recherche de l'emploi - et surtout du premier - sera meilleure puisque le choix offert sera plus vaste. (…)
En effet, diverses enquêtes le démontrent, plus de la moitié des jeunes demandeurs d'emploi se désintéressent du choix de leur métier et du travail qu'ils devront exécuter. Est-ce vraiment de l'indifférence ou cette attitude cache-t-elle autre chose, l'angoisse du lendemain ou le rejet de la société actuelle, par exemple ? La question mérite d'être posée, mais qui peut être sûr de la réponse ?
Le rêve et la réalité
Pour certains, le comportement des jeunes est significatif de leur état d'esprit. Refusant les valeurs anciennes, il est normal qu'ils agissent ainsi. Et ces censeurs de citer des exemples. Un jeune sur six, disent-ils en se basant sur une étude récente menée parmi des élèves techniciens de la métallurgie, croit que le travail a une véritable valeur en soi, les autres ne considèrent que le salaire reçu. Un tiers seulement des demandeurs d'emploi acceptent de s'engager dans une profession qui correspond à la formation qu'ils ont suivie. La grande majorité rêve d'une carrière dont elle ne connaît rigoureusement rien. Et, lorsque les jeunes prennent une décision, elle ne s'appuie que très rarement sur les possibilités réelles du marché du travail. Les choix se portent toujours sur les emplois « nobles » : bureaux, services, fonction publique… La jeunesse croit trop aux carrières éclairs et aux moyens illusoires d'atteindre gloire et prestige.
Ces critiques ne sont peut-être pas sans fondement. Mais la jeunesse est-elle vraiment coupable ? Le désintérêt pour le choix du métier ne résulte-t-il pas d'un manque d'informations et de l'attitude trop longtemps négative des pouvoirs publics, Éducation nationale en tête ? Et la croyance des jeunes en l'existence de carrières faciles et largement rémunérées ne peut-elle pas s'expliquer par certaines petites annonces ou certains films ? Qui n'a jamais lu dans un journal des annonces de ce type : « Gagnez 2 000à 3 000 F par mois par un travail facile et sans connaissances spéciales », me contredise. Pense-t-on que les jeunes, comme les adultes, soient capables d'éviter les miroirs aux alouettes, alors qu'ils sont plus mal informés ? En outre, il y a jeunes et jeunes. A 18 ans on ne raisonne pas comme à 25.
Quant à l'attrait des métiers nobles «à cols blancs »,il se comprend également. Quand un père revient de l'usine, après huit heures d'O.S.à la chaîne, il est presque normal que le fils ne croie pas aux joies du travail industriel. (…)
L'accueil dans l'entreprise
Il existe également, en plus du choix du métier, un problème jusque-là négligé, et cependant important, pour expliquer les réactions des jeunes face à l'emploi. Il s'agit du traumatisme que constitue pour un adolescent l'entrée dans la vie active. Jusqu'à sa sortie de l'école, le jeune, en effet, a vécu, en règle générale, dans un univers protégé, à l'abri d'un régime libéral en ce qui concerne les horaires, les travaux et la vie domestique. Du jour au lendemain, sans transition, ni aucune préparation, il est lancé dans la vie professionnelle. Il part à l'aventure, car l'Éducation nationale ne s'est pas préoccupée de cette question. Cette aventure peut parfois mal tourner et contraindre l'adolescent à des expériences plus ou moins valables. Or, un mauvais départ dans la vie active peut compromettre une carrière d'homme. L'entreprise - surtout la grande - ne perçoit que rarement le désarroi des jeunes devant leur premier emploi. Pour empêcher ce traumatisme, préjudiciable àla fois à l'individu et à la société, il suffirait peut-être de peu de choses. Une attention bienveillante, un meilleur accueil, un parrainage des anciens...
La formation: fausse route
Dernière partie de ce dossier : la qualité et l'utilité de la formation des jeunes. Autant le dire tout de suite, les divers enseignements du système scolaire français sont sérieusement contestés. Le premier reproche est leur inadaptation. Un sondage effectué par la Fédération des ingénieurs et cadres F.O. auprès d'étudiants d'un groupe de grandes écoles est, sur ce plan, significatif. A la question«Pensez-vous que votre formation vous prépare au monde du travail?»,la moitié des interrogés répondent « Absolument pas » et un seul répond « oui ». Les autres, moins catégoriques, soulignent le manque de formation pratique. Est-il besoin de souligner qu'en cette matière les élèves des grandes écoles sont pourtant plus favorisés que les étudiants de faculté. L'Éducation Nationale commence, certes, à se rendre compte qu'elle a fait fausse route. Elle entreprend maintenant d'orienter davantage les enseignements vers le concret, mais il faudra du temps, non pour modifier les programmes, mais pour transformer les mentalités de nombreux enseignants.
On comprend pourquoi le patronat montre de la réticence devant l'ambition de l'Éducation Nationale de mettre la main sur l'ensemble de la formation permanente ...
En attendant, ce sont les jeunes qui pâtissent de l'inefficacité pratique de leur formation. Quand ils s'en rendent compte, ce n'est que demi-mal. Mais, malheureusement encore, de nombreux titulaires de diplômes plus ou moins ronflants croient naïvement qu'ils vont accéder de but en blanc aux plus hautes fonctions dès leur premier emploi. La même naïveté se retrouve, avec cependant moins de force, chez certains titulaires de diplômes professionnels. Ce divorce entre ce qu'ils estiment être leur dû et la réalité provoque bien des malentendus et des aigreurs. Car le patronat n'est pas tendre vis-à-vis des résultats de la politique nationale de l'enseignement. Quel que soit le niveau scolaire, universitaire ou professionnel atteint, dit-on au CNPF (ancien nom du Medef. Ndlr), une seconde formation sur le tas est obligatoire. L'Éducation nationale, ajoute-t-on, ne fournit pas un « produit » directement utilisable. Elle « livre » des jeunes ne sachant finalement ni lire (c'est-à-dire savoir retenir l'essentiel), ni écrire (savoir rédiger un rapport succinct), ni s'exprimer, ni compter (au sens large du terme). L'école, toujours selon le CNPF, n'apprend pas assez le civisme, le respect des autres et de la chose publique, ni la tolérance des idées.
(…)
Alors, comment conclure ? En espérant que le problème de l'emploi des jeunes trouvera sa solution par le développement de l'information et de l'orientation, par la transformation de renseignement public (qui est d'ailleurs en cours) et, aussi, par un effort du patronat. Pour que la jeunesse se sente davantage concernée par le choix du métier, il faudrait que le cadre de vie dans le travail devienne plus attrayant et que soient mieux définies les tâches pour que celui qui les accuse croie plus en leur utilité.